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lundi 29 novembre 2010

Alpha Condé : un si long sacerdoce

En cette fin avril 2008, il est là, dans la petite salle funéraire de l’hôpital Bichat de Paris. En compagnie de ses amis de toujours, Albert et Evelyne Bourgi, il est bien hagard. Il ne pouvait pas manquer le dernier hommage à son « petit » Elimane Fall, brutalement parti. Pour rien au monde.
Ainsi est Alpha Condé. Paternaliste, fidèle et exigeant en amitié. A 72 ans, il semble n’avoir rien oublié de ses relations, forcément très nombreuses. Ne court-il pas le monde depuis toujours ? Elève en Guinée, en France, l’exil, la clandestinité, l’enseignement, la prison, le business international, le Parlement et désormais la présidence. Ce n’est pas un cadeau. Il n’a point jubilé alors qu’il vient de remporter le combat de sa vie. Celui pour lequel il a tout sacrifié : l’argent, les honneurs, la liberté, la santé. Mais il sait gigantesques les travaux qui l’attendent. Et il n’est pas demi-dieu. L’apothéose n’en est que plus improbable. Mais il n’est pas sans atouts.
Le « travail » ethniqueAlpha Condé, malinké par son père Mamadou Condé, est né en Basse-Guinée, en pays soussou, dans le village de Boké. Sa mère, Saran Camara, est soussou. Le second tour de l’élection présidentielle l’a confirmé : la Guinée est malade de ses divisions ethniques. Pour son malheur, elle n’a pas des centaines d’ethnies déjà fragilisées par leur éclatement.
Il y a certes une trentaine de langues, mais seules trois pèsent démographiquement. Le pular, parlé par 32%, le malinké par 23%, le soussou par 10%. Aucune autre langue n’atteint 5% de locuteurs. Le guerzé n’en compte que 3,8%, le kissi 3,5%, le toma 1,8%, le dialonké 1,8%, etc.
Ces chiffres doivent toutefois être considérés avec prudence. Le dernier recensement officiel basé sur les groupes ethniques date de 1955. Les Peuls constituaient alors le groupe ethnique le plus important (40%), suivis des Malinkés, 35%, des Soussous, 15%, puis des Guerzés, des Kissiens, des Tomas, des Landoumas, des Bagas, appelés forestiers, qui seraient de 5 à 9%.
A la vieillesse de la base statistique s’ajoutent les brassages. Les ethnies se sont beaucoup « métissées » et comptent des assimilés. Peuls et Toucouleurs, Malinkés, Kourankos et Leles, Soussous, Bagas et Landoumas. Sous ce rapport, les Malinkés et assimilés seraient le premier groupe ethnique, avec 30 à 35% de la population, suivis de près par les Peuls et Toucouleurs avec 30%, les Soussous et « assimilés » et les « forestiers » avec 18%. Les trois premiers groupes constituent à eux seuls 75% des Guinéens.
Sur le plan géographique se note également une certaine spatialisation ethnique. Les Malinkés à 45% en Haute Guinée, qui recouvre presque la moitié du pays, les Peuls à 80% en Moyenne Guinée, environ le tiers du territoire, les Soussous à 75% en Guinée maritime, et puis la Guinée forestière où se concentrent l’essentiel des petites ethnies dites forestières.
Mais cette répartition doit être nuancée. Les Malinkés ont une implantation très nationale. Ils sont 35% en Guinée forestière, 15% en Moyenne Guinée, et bien sûr très nombreux en Guinée maritime, qui abrite la capitale où se retrouvent toutes les ethnies.
Le « travail » ethnique est le premier du président élu. Il n’y manque pas d’atouts, son propre métissage ethnique notamment. La tournure de la campagne électorale a malheureusement exacerbé les divisions et ne lui aura pas facilité les choses
Gouvernement d’union nationaleNelson Mandela, qui a, avant lui, accédé au pouvoir à soixante- dix ans passés, est son modèle. Arc-en-ciel, a-t-il baptisé son alliance électorale, en référence à la nation arcen- ciel de Nelson Mandela. Comme lui, mais beaucoup moins que lui, il a fait de la prison, doit pardonner à ses geôliers et leurs complices, à commencer par celui qui l’envoya en prison pour cinq ans, le président de la Cour de sûreté de l’Etat d’alors, le magistrat Mamadou Sylla Syma, actuel premier président de la Cour suprême, qui va recevoir son serment de président.
L’Afrique du Sud devait d’abord, d’une société de développement séparé, devenir une société non raciale. Ici, il faut gommer les ethnies, les fondre dans une nation. Condé n’a pas attendu son installation pour l’entreprendre. Ses premiers mots ont été de réconciliation et il annonce déjà la formation d’un gouvernement d’union nationale.
La peine de mortComme Mandela, Condé est juriste. Doctorat d’Etat en droit de la prestigieuse Sorbonne, où il enseignera. En revanche, il ne sera pas avocat comme son mentor. Il n’en est pas moins particulièrement bien préparé à la tâche qui l’attend aujourd’hui. Sciences po à Paris, avant de se nourrir des joutes politiques africaines, françaises et communistes.
Quand il débarque en France à quinze ans chez sa soeur à Toulouse, la ville est le 2ème fief de la Fédération nationale des étudiants africains en France, la fameuse FEANF qui aura accueilli presque toute l’élite politique africaine francophone. Dans une telle ambiance, il découvre, si jeune, toutes les ficelles de la politique. Après Toulouse, c’est Pierre Mendes- France, l’emblématique homme d’Etat, qui est son tuteur à Louviers. Il aura vite appris les arcanes de la politique pour décrocher la présidence convoitée de la FEANF. Entre la Chine et l’Union soviétique, la FEANF, réputée à tort communiste, doit souvent choisir.
A l’indépendance du pays, il se trouve dans le camp de Sékou Touré. Dans son livre-entretien*, il nuance du reste l’héroïsme du « non » de Sékou Touré, en réalité forcé de choisir l’indépendance pour ne pas être débordé, notamment par la FEANF. Le compagnonnage ne dure pas. Touré ne tarde pas à révéler sa vraie nature à l’occasion de son premier conflit avec le syndicat enseignant. Complot, crie-t-il. Féroce répression qui fait des dizaines de morts. Lourdes condamnations. Pour Condé, jugé par contumace, c’est la peine de mort en 1970.
Commence alors, véritablement, sa longue opposition à la dictature, et sa lutte pour le pouvoir. Qu’il paye d’un exil de vingt ans. Quand la France de Giscard d’Estaing se réconcilie avec la Guinée, il est prié de s’opposer moins vertement. Il est contraint d’abandonner l’enseignement. Pour le business international. Un de ses nombreux amis lui propose de diriger la branche africaine de Sucres et Denrées. Le job lui permet, sans pouvoir aller en Guinée, de jeter les bases de son Rassemblement du peuple de Guinée, qui s’implante d’abord en Guinée forestière, frontalière de la Côte d’Ivoire, où il a ouvert un bureau de Sucres et Denrées.
Ne pas se compromettreLa mort du premier dictateur n’est pas la fin des soucis politiques de Condé. Des élections sont certes organisées sous la pression internationale, mais les dés en sont pipés. Il ne recueille que 27% en 1993, 18% en 1998, malgré l’annulation des résultats dans ses fiefs de Haute Guinée. Il ne lui est même pas laissé le loisir de contester. Il est arrêté avant la proclamation des résultats, embastillé, condamné par la Cour de sûreté de l’Etat à cinq ans dont il purgera la moitié. Libéré en 2001 grâce à une mobilisation internationale.
Malgré toutes ces épreuves, finalement un long sacerdoce pour le service de la démocratie et de la nation guinéenne, Condé n’a jamais cédé. Conté lui a plusieurs fois proposé de rejoindre le gouvernement. Sa ligne de conduite a été invariable : ne pas se compromettre avec la dictature. Même dans un gouvernement d’union nationale. Peut-être pour rester l’emblème du « non ». L’authentique.
Chérif Elvalide Sèye
• Un Africain engagé, Jean Picollec, 2010.
SOURCE LES AFRIQUES

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